Du parc d’aviculture au projet de jardin zoologique
Au début du XXe s., un parc d’aviculture avait été installé au Square. Dans la journée, les visiteurs pouvaient contempler les gracieuses évolutions des cygnes, canards et oies du Japon sur la petite pièce d’eau aménagée sous le pont. La nuit venue, ces volatiles étaient enfermés dans une grande cage installée dans un kiosque surmonté d’une tour-pigeonnier. Cet emplacement fit d’ailleurs la une de L’Indépendant(1). Sous le titre « La chasse aux rats », on pouvait y lire : « Le square des platanes est infesté de rats qui vont jusque dans les auges disputer leur nourriture aux cygnes... Les services municipaux ont dû installer des pièges avec des pâtes de phosphore. »
Le projet de jardin zoologique au square avait peut-être été inspiré par le Jardin zoologique de Marseille, siuté dans les jardins du Palais Longchamp et inauguré le 14 avril 1854. Ce type de jardin « pittoresque » correspondait à l’engouement pour l’exotisme et les contrées lointaines qui régnait sous le Second Empire. Comme à Marseille, on y trouvait un kiosque à musique, des éléments de rocaille et une cascade, ainsi qu’une cage grillagée occupée par un couple de paons qui constituait l’attraction du parc. Une buvette, installée dans un petit pavillon en bois peint, ainsi que des lieux d’aisance permettaient au public citadin d'y passer la journée et de se ressourcer dans ce cadre champêtre. L’ambition était de peupler ce jardin d’espèces animales rares qui auraient constitué un embryon de zoo municipal gratuit et accessible à tous.
En juin 1917, un chasseur d’Amélie-les-Bains, M. Turcan, fit don à la ville de deux superbes aigles royaux capturés à Montalba. Une cage fut édifiée au square pour abriter le couple de rapaces. Pour éclairer cet épisode peu banal, nous reproduisons ci-dessous un article de L’Indépendant(2) qui explique les motivations des élus et les réactions des Perpignanais, sous la plume ironique et incisive d’Emmanuel Brousse : « La Dépêche, qui reçoit, comme on le sait, les inspirations officieuses de la Mairie, nous annonçait dans sa chronique régionale de dimanche dernier que les pourparlers pour l’achat des terrains destinés à l’agrandissement du square venaient d’être repris avec les représentants de la Foncière Méridionale. Les prix demandés par la Société propriétaire des terrains n’ont pu être acceptés par les mandataires de la ville » « dont les ressources sont loin d’être inépuisables » et celle-ci se verrait dans l’obligation de renoncer à son projet si les exigences de la Foncière Méridionale étaient maintenues. « Mais tout laisse croire, ajoute La Dépêche, qu’un accord interviendra prochainement et que « les Perpignanais ne seront pas privés du jardin zoologique dont la création est envisagée depuis longtemps. »
Telle est, en effet, la grande pensée du règne de M. Denis(3). Cette idée fixe ne date pas d’hier. Elle acquit un regain de vitalité au moment de l’acquisition gratuite du couple d’aigles offert par M. Turcan et dont la cage somptuaire s’est aujourd’hui augmentée d’un aiglon : elle rebondit après l’adjonction d’un grand duc auquel l’on vient d’offrir la compagnie d’une « grande duchesse ». C’était l’amorce de la grande ménagerie qu’on rêve de compléter en même temps que l’agrandissement projeté du Square.
Tous ceux qui ont vu les embryons de jardins zoologiques de Toulouse et de Marseille savent quelle triste idée de la faune exotique donnent au visiteur ces exhibitions rudimentaires qui n’en sont pas moins extrêmement coûteuses pour les budgets municipaux des villes que nous venons de citer bien que celles-ci disposent d’autres moyens dont notre ville est loin d’approcher.
On croit rêver en voyant à quelles extraordinaires fantaisies s’accrochent les cervelles municipales, quand il y a tant et tant d’autres travaux utiles... Nous avons des travaux d’une urgence impérieuse à entreprendre pour défendre les bas quartiers de la ville contre les inondations et les débordements des égouts. Nous avons un lycée à construire, une bibliothèque municipale (inaccessible depuis plus de cinq ans) à refaire ou à installer ailleurs, un musée en ruines, indigne d’une ville qui compte près de 50 000 habitants. Mais quoi ? tout est à faire dans notre cité que le système de fortifications avait maintenu en état léthargique jusqu’en ces dernières années, dont la guerre a paralysé l’effort si magnifiquement parti depuis le premier coup de pioche du démantèlement ; tant de travaux dont les dossiers dorment dans les cartons municipaux et dont le programme ne voit le jour qu ‘au moment des périodes électorales. Ajoutons à cela une sérieuse aggravation des dépenses par suite du relèvement des salaires municipaux. Et on parle d’installer une ménagerie ! non... un jardin zoologique ! »
Mais ce projet d’héberger des animaux sauvages dans le square persista et en 1926, une brève de L’Indépendant(4) annonçait : « Au Square : Le parc aux gazelles a disparu ; il ne restait plus qu’un seul spécimen du don fait par M. de Stadieu il y a quelques années. C’était un mâle dont il a fallu se séparer en raison de la difficulté de lui trouver une compagne... »
Jusque dans les années soixante, on pouvait admirer des cygnes et des paons se pavanant sur les pièces d’eau qui bordaient le Théâtre de Verdure. À la même époque, le Square hébergeait un pensionnaire exotique qui faisait le bonheur des écoliers de la ville le jeudi (jour de repos hebdomadaire pour les élèves de l’époque). Un gorille apprivoisé, connu sous le nom de Jacky, se rendait souvent au square Bir Hakeim sous bonne garde de ses maîtres. La revue Reflets du Roussillon(5), dans son éphéméride, confirme l’existence de cet animal : « 13 novembre : Jacky le gorille -Actualité de presse quasi nationale sinon internationale, on annonce que Jacky le gorille, élevé en pays catalan, sera cet hiver la vedette du cirque Bouglione à Paris. Il y fêtera ses onze ans, ses 300 kilos et sa robuste corpulence que la captivité ne semble pas avoir ébranlée. » Les journalistes de la revue lui consacrèrent un article au moment de sa mort car il était devenu la mascotte des Perpignanais. Toujours dans l’éphéméride de Reflets du Roussillon, voici ce que l’on pouvait lire dans le numéro 37 de l’année 1962 : « Jacky, le gorille catalan, dont nombre de Perpignanais et de Roussillonnais avaient apprécié, d’abord en liberté et puis, l’âge venant derrière les barreaux de sa cage des Platanes, l’extraordinaire vitalité quasi humaine, est mort. Ainsi finit la vie relativement brève de ce magnifique animal qui, après avoir goûté aux conditions de vie que lui avaient fait ses premiers maîtres, ne résista que peu de temps, au contraire, à l’état de bête curieuse commercialisée, qui était devenu le sien. »
Au XXIe s., les seuls animaux faciles à observer qui peuplent la Promenade sont les oiseaux qui nichent en hauteur, dans les ramures des plus grands arbres : les sittelles torchepot y ont élu domicile. Cet oiseau trappu mais très agile, se nourrit d’insectes et d’araignées qu’il trouve dans l’écorce des arbres. En hiver, il se nourrit aussi de graines, ce qui l’incite à se rapprocher souvent des habitations.
(1) L’Indépendant des Pyrénées-Orientales, 5 novembre 1920
(2) E. R. B. [pseud. d’Emmanuel Brousse]. Uu jardin zoologique à Perpignan. L’Indépendant des Pyrénées-Orientales, 25 juin 1919.
(3) Joseph Denis, maire de Perpignan (19 mai 1912 - 19 mai 1929)
(4) L’Indépendant des Pyrénées-Orientales, 12 mars 1926
(5) Reflets du Roussillon, 32, 1960 |